Trouver ma véritable identité 
Expérience de Ricardo del Rio 

Traduit par Palmyre Salelles 

(Plus de 25,000 personnes sont mortes ou disparues lors des inondations qui ont ravagé le Vénézuéla en décembre 1999) 

Jamais je ne me serais imaginé que le 15 décembre 1999 changerait non seulement ma vie physique, mais aussi ma vie intérieure. Je crois que chacun d'entre nous avons une partie de notre vie où il est difficile d'avancer, où nous progressons lentement; nous croyons même qu'au lieu d'avancer, nous reculons. Depuis longtemps, j'ai appris à reconnaître, avec cette pratique, que cette partie difficile était ma vie affective, les trésors du coeur. 

Depuis plusieurs jours, il n'arrêtait pas de pleuvoir. Le 15 décembre, je n'ai pas pu aller voter à cause des trombes d'eau qui tombaient. Tout à coup, à 23h45, la lumière et le téléphone se sont coupés, mais je croyais que tout cela se normaliserait très vite. À 2h00 du matin, le concierge s'est mis à cogner de toutes ses forces sur ma porte pour me dire de sortir ma voiture du stationnement le plus rapidement possible, car il était entrain de se remplir d'eau. Je réussis à garer ma voiture dans le stationnement des visiteurs, mais une petite peur commençait à naître, car les choses n'étaient vraiment pas normales. 

L'enfer a commencé au lever du jour. La force de la pluie, l'eau qui montait vers l'immeuble, quelques familles qui étaient arrivées chez nous après avoir vu leurs maisons arrachées et traînées par les eaux en furie, toute cette situation m'a littéralement projeté devant le Gohonzon pour faire des daimokus. Un jeune homme de 19 ans est apparu nu auprès de la piscine, blessé et meurtri après avoir été lancé avec son grand-père dans les torrents d'eau qui se jetaient dans la mer, lorsque sa maison tomba avec les autres; son grand-père y est disparu. 

À ce moment précis, je me trouvai en état d'alerte; je voyais que la vie même était en danger. Les heures suivantes se sont passées entre faire des daimokus, sortir sur mon balcon pour observer le développement des crues et aller avec les autres familles à l'entrée de l'immeuble pour nous encourager et évaluer les dégâts. 

Vers 8h00 du matin, une immense avalanche de boue, d'énormes rochers, de voitures cassées, de personnes, d'arbres gigantesques et de débris, a commencé à dévaler devant notre immeuble dans la partie arrière, celle qui donnait sur la plage. Je pouvais voir avec étonnement, pendant que je pratiquais comme un fou, comment tout était écrasé par l'immense force de quelques sept mètres de hauteur de boue allant vers la mer, et comment les façades autour de notre immeuble se démolissaient, ainsi que certaines fondations des immeubles alentours. Des trois voitures qui étaient là, deux ont glissé dans la piscine, mais la mienne a été coincée par des troncs d'arbre, ce qui l'empêcha ainsi de glisser. 

Face à cette catastrophe, l'unique chose que je pouvais faire était de m'asseoir le plus calmement possible face au Gohonzon et de faire daimoku — les fondations de mon immeuble pouvaient, elles aussi, céder et nous emporter tous dans cet immense torrent vers la mer. Assis devant le Gohonzon, je pris une directive du Daishonin qui dit ceci: "Prenez la décision d'extraire l'immense force de votre Foi et faites Nam Myoho Rengue Kyo, avec la prière que votre Foi soit forte et correcte au moment de votre mort. Ne cherchez jamais une autre forme d'hériter la Loi Suprême de la Vie". 

Pendant que j'entendais l'horrible bruit des décombres, je pratiquais en me demandant "Et si j'étais le Président Ikeda, comment ferait-il daimoku en ce moment?". Je me disais aussi: "et si ce moment est celui de ma mort, qu'est-ce que cela signifie que ma foi soit correcte et forte?". Je me débattais entre croire que je possédais l'état de Bouddha et faire surgir la force pour transformer mon destin et celui de mes ancêtres, ou être partie intégrante du commun des mortels, apeuré par le fait qu'il n'y avait pas d'autre voie de sortie que celle de mourir de cette façon si horrible. 

Je me suis souvenu de ce passage du Gosho "L'ouverture des Yeux", dans lequel il est dit ceci: "Moi, Nichiren et mes disciples, nous atteindrons naturellement l'état de bouddha, si nous ne nous laissons pas influencer ni n'avons le moindre doute face aux obstacles qui se présentent. Vous ne pouvez pas douter des bienfaits du Sutra du Lotus, même si vous ne recevez pas la protection des dieux bouddhistes ou vous lamentez pour ne pas avoir une vie tranquille en ce moment. J'ai enseigné cela à mes disciples, cependant ils se sont éloignés du Sutra du Lotus car il est normal que les sots oublient leur promesse à ce moment précis." 

Et ce moment précis m'arrivait. Dans les efforts de réciter des daimokus qui puissent non seulement pénétrer ma vie mais aussi celle de tous ceux qui se trouvaient dans mon immeuble, je désirais sincèrement être vivant pour célébrer le Nouvel An. Soudain, l'image de mes parents surgit dans mon esprit. Je me suis souvenu qu'ils étaient déjà passés par l'expérience pénible et amère de perdre deux fils, et que moi, comme Bouddha, je ne pouvais leur causer plus de souffrance — je sentais que j'avais une mission à remplir. Et du plus profond de ma vie, surgit une force inépuisable d'affection filiale, un désir intense et tranquille de les embrasser, de les aimer. Je ne désirais plus qu'une seule chose: vivre pour pouvoir leur dire et leur démontrer, à eux comme à tous ceux que j'aimais, combien ils étaient importants pour moi. 

La boue et les débris ont finalement réussi à rentrer dans l'immeuble de toute leur force, couvrant jusqu'à deux étages. A partir de ce moment-là, je me suis senti responsable non seulement de ma vie et de mon bonheur, mais aussi de toutes ces personnes qui étaient avec moi. Je me suis levé et je réussis à convaincre tous ces résidents que nous devions partir le plus rapidement possible: d'énormes arbres étaient sur le point d'écraser l'immeuble s'il se mettait à pleuvoir de nouveau. Nous essayâmes de partir vers la plage, mais le risque de mourir ensevelis dans la boue était trop grand. Pratiquant pour trouver une porte de sortie à cet enfer, nous vîmes que ma voiture était encore la meilleure solution. En fait, elle nous a sauvé la vie, étant donné qu'elle était restée coincée en face des escaliers, ce qui nous a permis de sauter dedans sans que nous ayons la moindre lésion. 

Après avoir pu sortir vivant et sans égratignure de cet enfer, après 15 ans, j'habite à nouveau chez mes parents. Et je saute de joie, non seulement d'avoir pu les embrasser, mais encore d'en finir avec cette peur de les aimer, et je remercie sincèrement pour ce qu'ils ont été et ce qu'ils sont. Je ne peux pas dire que j'ai perdu. Au contraire, j'ai trouvé ma véritable identité, savoir qui je suis et la valeur de ma vie, de ma famille, de l'affection, de l'amour sincère de vous tous. Ma détermination désormais est de vivre sans restriction comme véritable disciple d'Ikeda.